Les Réseaux Intelligents d’Energie (Smart Grids) font partie de ces sujets qui semblent devoir être rangés dans la case « Technologies », bien loin des préoccupations politiques ou stratégiques.
C’est peut être au contraire l’un des véritables sujets des prochaines années tant son impact va être majeur pour les acteurs du secteur de l’énergie électrique tout comme pour ceux du secteur du numérique. Il va aussi toucher les collectivités et les citoyens. Il va enfin accompagner de manière indissociable le développement et la maîtrise des nouvelles énergies.
Quelques repères permettent de se faire une idée plus précise de ces différents points :
1- Définition : Les Réseaux Intelligents (ou Smart Grids) font référence à l’ensemble des technologies numériques (Informatique et télécoms) utilisées pour optimiser le fonctionnement des réseaux électriques. On différencie les Smart Grids 1) « amont » qui concernent la production, le transport et en partie la distribution, 2) « aval » sur la partie qui concerne les compteurs intelligents allant des services au consommateurs jusqu’à la le traitement des données qui permet de gérer les besoins en production et transport.
2- Intégration des énergies renouvelables. Parce que les énergies renouvelables sont intermittentes (également qualifiées de « fatales »), elles mettent en risque la stabilité du réseau. C’est la raison pour laquelle un plafond a été fixé à 30% comme limite à tout endroit du réseau de transport de ne pas dépasser. Les Réseaux intelligents « Amont » constituent un élément incontournable de l’évolution des réseaux électriques afin de dépasser cette limite.
3- Réduction des pertes. On estime qu’autour de 10 % de l’énergie électrique est perdue dans les réseaux du fait d’une non-optimisation de l’ensemble des ressources et leur insuffisante coordination. Les Smart Grids constituent également le moyen d’optimiser ces ressources.
4- Les compteurs électriques sont à ce jour des systèmes fermés. Demain, on sait que les boîtiers seront de manière incontournables plus ouverts. Des grandes alliances commencent à se nouer et des acteurs comme Schneider ou Alstom s’y préparent. Il n’en reste pas moins que si les acteurs de l’énergie voient le numérique comme un outil, certains des acteurs du numériques considèrent clairement que ce secteur pourrait demain occuper une place majeure. Ils le pensent d’autant plus qu’ils estiment pour certains que les acteurs de l’énergie mettent le doigt dans un système dont ils ne connaissent pas les codes et ne sont pas casino préparés aux possibles bouleversements qu’il pourrait induire.
Les réseaux intelligents portent en germe des évolutions structurelles du marché et des règles de concurrence.
5- Propriété et contrôle des données. A qui appartiendront demain les données ? Si aujourd’hui elles sont de fait propriété du fournisseur (avec une frontière ambiguë avec le distributeur qui les récupère), on pense qu’il sera incontournable qu’elle devient au moins en partie propriété du consommateur lui-même. Et les collectivités ? Comment pourront-elles disposer naturellement de données agrégées ? Comment la propriété de ces données interfère-t-elle avec la propriété des réseaux qui est le fait des syndicats d’électrification ?
6- Gestion technique des données. La quantité de données à traiter va être considérable (de l’ordre de quelques petaoctets, 1015 octets ou encore autant de données que ce que gère un opérateur tel qu’Orange). Qui va gérer cette quantité de données ? Un certain nombre d’acteurs internationaux se préparent pour cela et plusieurs pensent que cela va être un champ important d’application du « Cloud Computing ».
7- Standardisation. Comme dans la téléphonie mobile, l’Europe risque de perdre la bataille de la standardisation. L’Europe (et principalement la France) a joué un rôle majeur dans l’avènement du mobile. Tout vient de « chez nous ». Nous n’avons cependant pas tiré les conséquences de la montée en puissance de l’Internet, de ses modèles et de ses règles qui font son écosystème. Si l’Europe est toujours très présente sur la standardisation des couches basses, nous n’avons plus grand-chose à dire sur les couches de services où de grands acteurs ont imposé leurs standards de fait. Il pourrait bien se passer exactement la même chose dans les Smart Grids où, à l’heure où la France et l’Allemagne s’opposent sur la prise de la voiture électrique, d’autres préparent des services et des interfaces qui pourraient demain s’imposer à l’échelle globale.
Avons-nous la moindre idée des conséquences que cette standardisation de fait pourrait demain avoir ?
8- Collectivités locales. Contrairement à d’autres pays, la France se caractérisait jusqu’à présent par une forte centralisation de la gestion de ces équilibres. Les Réseaux Intelligents couplés au développement des énergies renouvelables vont amener à une gestion beaucoup plus décentralisée des équilibres entre offre et demande d’électricité. Cette décentralisation annoncée va conduire les réseaux locaux d’électricité à jouer un nouveau rôle. On ne peut relever cette évolution sans comprendre comment elle va s’articuler avec la manière dont vont évoluer les syndicats d’électrification. Ils vont, nous en sommes convaincus, être amenés à jouer un rôle nouveau dans les prochaines années. Ne serait-ce que pour permettre aux collectivités d’avoir leur mot à dire dans les politiques d’énergies renouvelables sur leur territoire ainsi que sur les problématiques de stockage.
9- L’avènement de la voiture électrique ne fait que renforcer tout ce qui a été évoqué. Elles accroissent la consommation, amène à envisager des modes de gestion locale pour prendre comptent les spécificités de ces besoins, suscitent des projets d’énergies renouvelables décentralisées, sous-tendent selon le cas l’arrivée de nouveaux acteurs dans le paysage, crée des nouveaux besoins d’infrastructures locales, laisse entrevoir des nouvelles capacités de stockage utilisables par le réseau électrique.
10- Volume de marché. Le marché international bouge très vite et les enjeux financiers sont considérables. De 10Mds de dollars par an en 2015, on pense que ce chiffre pourrait être multiplié par 10 en 10 ans. L’IEA fixe à 38.000 $Mds les besoins en infrastructures en énergie d’ici 2035, soit 18.000 $Mds en électricité. Près de 20% pourraient concerner les Smart Grids. La chine vient d’annoncer un investissement de 250 $Mds dans des infrastructures dont 45 $Mds dans les Smart Grids. Le total des investissements des sociétés d’énergies locales aux États-Unis dépasse les 200 $Mds. Globalement, les investissements dans les Smart Grids pourraient atteindre 100 $Mds par an dans 8 ans, voire plus selon certaines estimations.
Ce marché est vu en France comme un sujet d’évolution technologique du réseau. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays où il est plus vu dans sa dimension marché avec tout ce que cela veut dire du client à la production avec au passage des modifications structurelles des règles de concurrence.
Il n’est pas sûr que nous soyons préparés à une telle évolution. Nous devons pourtant nous forger une vision sur ce sujet hautement stratégique.
Hervé Rannou – Hervé Rannou, hrannou@gmail.com – 8/12/2011
ITEMS International CEO
Smart Grids Consulting Consortium manager www.smartgridsconsulting.com